Enter The Moch

Recommandé par les Pompes Funèbres Générales.

Mois : novembre, 2014

LA MANIX POUR TOUS

capote

Christine Boutin dans sa chambre d’étudiante, Paris II Assas, 1963

M.J.C.

EN PARALLÈLE

Racial

– Putain, t’as vu le keuf qui s’est fait acquitter aux States là, celui qu’avait tiré sur le gamin ? Abusé, non ?!

– Oui. Sale histoire.

– Clair. Ça t’inspire quoi, toi ? Ça te fout pas la haine ?

– C’est délicat comme débat. Aujourd’hui, je pense que…

– Quoi « Aujourd’hui » tu penses que…?

– Hein ?

– Ouais, qu’est-ce t’as à t’introduire comme ça là, en disant « aujourd’hui ». Tu peux pas parler normalement ? Comme tout le monde ? T’as vraiment besoin de claironner que Monseigneur-Mes-Couilles va prendre la parole pour nous gratifier de sa science ? On va s’en rendre compte, tu sais…

– Oula non, tu n’y es pas du tout ! Si je dis « Aujourd’hui » avant « je pense que », c’est uniquement parce que j’ai conscience du caractère éphémère de ce que je pense !

– Comment ça ?

– C’est simple. L’histoire nous a montrés que la vérité du jour n’est jamais celle du lendemain. De tout temps, les hommes ont prôné le matin des dogmes qu’ils récusaient le soir même. Ils ont chanté à l’aube des louanges qu’ils taisaient la nuit venue. J’ai juste intégré ce principe de base. Je sais désormais que le marbre de mes certitudes peut s’ébrécher en une fraction de seconde et revenir à la terre pour toujours, comme s’il n’avait jamais été le socle indéboulonnable de mes croyances. Je sais que les vérités que je veux incontestables aujourd’hui peuvent être balayées demain par le souffle serein de découvertes imparables. Quel orgueilleux, que fou se bernerait alors à considérer sa parole comme porteuse d’une vérité intemporelle ? « Aujourd’hui je pense », c’est l’humilité faite phrase. C’est poser un genou à terre devant la connaissance et reconnaître que l’on en est essentiellement dépourvu. C’est parce que je sais le peu de pertinence et de pérennité de mes opinions dans le temps que je les contextualise avant de les partager.

– Non mec. Ça, c’est juste un faux alibi de plumeau à la con. Tu te la joues hipster philosophe en sortant cette petite phrase d’accroche anodine en apparence mais en fait t’es un gros vicelard. Tu sais très bien que cette amorce stylistique sert juste à donner plus d’emphase à ta déclaration. Comme si ton discours était un putain biker et que ta phrase à la con lui servait de tremplin. Tout ça pour propulser dans le néant un bolide de réflexions philosophiquement pauvres, héritées de bouquins de Sartre que t’as enquillés sans comprendre. Ta phrase, c’est juste un moyen de braquer les spots sur toi. C’est d’une bassesse crasse ce que tu fais. Et ce que je trouve encore plus cradingue, c’est l’hypocrisie dont tu matines ton comportement de péteux. En te mentant en toi-même et en te laissant croire que tu veux vraiment inscrire chacune de tes paroles dans l’instant. T’es un lâche. Un poseur qui assume pas.

– Non, tu fais fausse route. Regarde. J’ai toujours été un modéré en matière pénale. Selon moi, un homme condamné à 20 ans de prison devrait pouvoir consacrer les 5 dernières années de sa peine à réapprendre à vivre en société. A l’air libre. Et j’y suis férocement attaché. Mais si demain j’apprenais que la vie de mon frère s’était précipitamment achevée sur le cran d’arrêt d’un repris de justice condamné à 20 ans de prison mais sorti au bout de 15 pour se réacclimater à la liberté, je suis presque certain que je changerais d’avis. Peut-être deviendrais-je même un prédicateur de la peine capitale. Et alors je constaterais avec résignation qu’il ne m’aurait fallu qu’une journée pour renier une de mes convictions humanistes les plus profondes.

– De mieux en mieux ! Tu te sens maintenant obligé de prendre un exemple plus simple à comprendre pour que je puisse me rallier à ta cause ! Comme si le scepticisme que je t’oppose n’était dû qu’à mon incapacité à assimiler ta prose ! Faut dire, une démonstration si théorique, des concepts si abstraits, un langage si soutenu ! Putain, quelle prétention ! Mais j’ai une mauvaise nouvelle pour toi, pélo : même avec des mots simples, tu me convaincs pas ! Tes acrobaties verbales n’ont aucune emprise sur moi ni sur mon entendement. Je persiste : en t’annonçant à moi comme tu l’as fait là avec ce « Aujourd’hui je pense », tu as le sentiment d’honorer le rectum de mon attention – que dis-je, de mon ignorance – par une saillie de ton intelligence. Du populisme comme on en fait plus.

– Bon, vas-y, tu me gaves. Roule un pétard.

– Ouais t’as raison… Quoique… J’sais pas… Avec tout ce qu’on raconte à propos du cannabis… D’ailleurs, à ce propos, moi aujourd’hui je pense que…

– Tu te fous de ma gueule ?

– Ouais.

– …

– C’est ça. T’as raison. Dis rien. Pédé.

 M.J.C.

 

 

ON N’A RIEN INVENTE

Centaure

Déjà dans la mythologie grecque, ça discriminait sec.

M.J.C.

ZOO

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Alors que je marchais dans Bordeaux ce dimanche, peu avant les premières heures du jour, mes pas ont croisé ceux d’un mec dont la nuit avait semble-t-il été agitée.

On sentait à ses habits qu’il était pourtant parti pour passer une soirée plutôt cossue. Ses chemise et petites chaussures assorties indiquaient même, assez ostensiblement, qu’il avait dû avoir pour ambition originelle de briller d’un éclat certain en cette nuit girondine.

Mais à voir ses cheveux en bataille, sa manche de veste déchirée et sa pommette ouverte sur 8 cm, on comprenait assez vite que ses projets du soir avaient été contrariés par une rencontre inopportune.

Le gars avançait d’une démarche désordonnée, cahoteuse et plongeait, toutes les trente secondes, ses mains tremblantes dans les poches d’un pantalon qui avaient contenu, encore quelques instants auparavant, portefeuille et portable, clés de voiture et paquet de clopes.

Ses yeux étaient rouges et gonflés, son corps agité de soubresauts. De ses lèvres tuméfiées parvenaient des phrases confuses, embrouillées, mais qui globalement plaidaient la cause d’une extermination massive et systématique de tous les citoyens nord-africains de moins de 25 ans.

Les difficiles moments que traversait l’infortuné noctambule me suggérèrent alors une image curieuse : celle d’un poisson. Plus précisément, d’un saumon.

Un saumon qui, fatigué d’avoir remonté toute la semaine un courant contraire de dossiers merdiques et de prises de tête administratives, était venu trouver la récompense de ses efforts en boîte de nuit.

Celle-ci avait pour lui les attraits d’une terre promise, d’un eden où il savait pouvoir séduire et tenter de frayer au milieu de congénères venus en nombre pour la même cause.

Mais l’agitation de la vie nocturne avait dû, comme à chaque fois, appâter les prédateurs. Et non des moindres. 

Des ours en basket-casquette aguerris à la chasse aux aguets. Des grizzlis en survêt’ qui attendent patiemment, les vendredis et samedis soirs, qu’un individu faible et désorienté s’écarte un peu trop de la masse et expose sa faiblesse à leur merci.

Le scenario était connu. Le type avait dû sortir de la boîte pour fumer sa onzième roulée de la soirée, passer un coup de fil à un plan-schnek ou s’aérer après une lampée de whisky trop corsée.

Il avait dû faire quelques pas dehors, un peu à l’écart des videurs, se disant sans doute que l’air vivifiant de la nuit allait lui redonner le coup de fouet réclamé par son corps tout entier ; intestins en tête.

Il n’avait pas dû se rendre compte, ce faisant, qu’il s’éloignait de la zone restreinte éclairée par les spots lumineux du club. Ni que chaque pas mal assuré qu’il faisait, en cherchant son second souffle, l’éloignait un peu plus du périmètre de sécurité précaire que la lumière avait construit autour de lui.

Il n’avait pas dû non plus réaliser que quelqu’un le surveillait dans l’ombre depuis cinq minutes déjà. Ni que ce quelqu’un – un beau spécimen de plantigrade béglois de 2 mètres et 100 kilos – venait officiellement de l’inscrire à son menu du soir.

La suite n’avait pas dû révolutionner les canons de l’agression nocturne.

Le gros ours avait dû demander une clope au petit saumon. Le petit saumon avait dû donner au gros ours une réponse inadéquate. Le poing du gros ours avait dû caresser la joue du petit saumon. Le petit saumon avait dû s’allonger dans le caniveau et y frétiller face contre terre. Le gros ours avait dû en profiter pour délester le petit saumon de ses possessions matérielles. Le gros ours avait peut-être même uriner sur le petit saumon au sol, comme ça, gratis, pour parapher sa performance comme un maître batave aurait signé sa toile. Le tout en moins d’une minute. Sans causer de remous.

La nuit avait une fois de plus laissé opérer son impitoyable justice.

Après avoir laissé le poissard derrière moi, je me souviens m’être demandé dans quelle mesure nous nous démarquions encore du règne animal.

A vrai dire, je me suis d’abord demandé combien de temps le bougre tergiverserait dans l’isoloir avant de glisser un bulletin bleu marine dans l’enveloppe aux prochaines élections. Mais de suite après, je me suis demandé ce qui nous séparait encore des animaux.

Venait de se produire une attaque qui, de la conception à l’exécution, avait moins tenu du reportage sécuritaire de TF1 que du documentaire animalier de France 5.

Un humain s’était inspiré des techniques de prédation les plus perfectionnées, les plus sournoises, pour s’adjuger le smartphone et le tabac d’un semblable dépourvu de moyens de défense efficaces.

Ce constat avait de quoi être perturbant. Et j’étais perturbé.

« Sommes-nous toujours des animaux ? N’avons-nous donc pas quitté la jungle ? » ai-je alors crié à la nuit, les yeux levés vers le ciel.

« Non, c’est juste le combat de Klitschko qui m’inspire ce soir…», me souffla alors une voix par derrière.

Ce furent les dernières paroles que j’entendis avant de sentir, à mon tour, un poing de gros ours se lover dans ma nuque.

M.J.C.

JE FAIS LE PONT

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M.J.C.